Est-il possible de préférer une lettre aux autres ?

Jo pense que oui, puisqu'il en a une lui-même. Et puis, certains ont des chiffres et des nombres favoris. Mais il s'agit souvent de superstition. En outre, les chiffres ont plus de valeur et de signification que les lettres. Citons entre autres les quantités, les sommes, les jeux d'argent, les statistiques... La préférence d'une lettre apparaitrait pour d'autres raisons, comme par exemple l'esthétique, ou bien la nostalgie et le souvenir d'une initiale. 

C'est bien l'esthétique qui fait de la lettre F la préférée de Jo. Quel que soit le style d'écriture, elle reste la plus majestueuse des lettres. En minuscule manuscrite, elle apparaît svelte et vive, telle une annotation musicale ornant une partition. En minuscule tapuscrite, elle est le réverbère, le lampadaire qui éclairera la ligne et la phrase. En majuscule, la voilà en véritables jardins suspendus, en étages pendus au-dessus du vide, en architecture à faire pâlir Babylone. La lettre F a également de grands pouvoirs, notamment celui de prendre la forme de ce qu'elle exprime aux côtés des autres lettres d'un mot. Ainsi, le F à la fin de la Clef pourrait très bien ouvrir une serrure. Celui de la Girafe tend son long cou et s'élève. Celui de la Femme est tout en beauté et en courbes. Ceux de la Fanfare encadrent le cortège et donnent le rythme. Celui de la Famille se tient debout et tend les bras.

Voici en bref une bien belle lettre, ni trop présente ni trop absente, jouissant d'une position agréable dans l'alphabet, ni en première ligne ni à la traîne. Et si le F n'existait pas ? Jo en aimerait probablement une autre. Peut-être le P, si droit, si sec, si sûr de lui, présent juste quand il faut. Si le F intervient quand un besoin de charme, de finesse et d'élégance se fait sentir, le P s'utilise quand on est plein de détermination et d'assurance. 

Au fond, il est assez étrange d'aimer une chose aussi banale, basique et utilitaire qu'une lettre de l'alphabet. 

N'est-ce pas ? 

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