L'art technique et l'art émotionnel

Il mit un peu de temps à le reconnaître mais une fois que ceci fut fait, il sourit et se mit à se moquer de lui. Il le pointa du doigt car, selon lui, ses artistes avaient moins de talent et d’habileté que les siens propres. Il se vanta d’avoir en ses rangs de grands noms connus et reconnus, dont Messieurs Rodin, David, Titien, De Hooch, Rembrandt, Michelangelo et Da Vinci.

Mais monsieur Da Vinci n’est pas un artiste, rétorqua l’émotionnel, c’est un ingénieur. Ni plus ni moins qu’un vulgaire scientifique qui a troqué une partie de ses outils et de ses instruments contre des pinceaux et des crayons. Quant aux autres, ce ne sont que des photographes vaguement en avance sur leur temps, sans message ni puissance. Voyez plutôt Messieurs Picasso, Gris, Modigliani, Delaunay, Brancusi, Miro, Kandinsky, Duchamp, Botero… Ils disent tellement en si peu de traits et de formes.

Vous avez raison de dire qu’il y a peu de forme, répondit le technique. Ce qu’ils font, tout le monde peut le faire, avec un peu de temps à perdre. Et très peu de goût. Les artistes doivent s’élever au-dessus du lot, poussé par leur dextérité et leur adresse sans faille.

Et Basquiat ?

Un drogué.

Et Koons ?

Un homme d’affaires.

Et Warhol ?

Un publicitaire.

Et Lichtenstein ?

Qui ?

En cet instant de montée de tension, un enfant joufflu passa par là en les interrompant :

Et Dali ? Et Arcimboldo ? Ils sont de quel côté ?

Ils sont à moi, lança le technique.

Vous voulez rire ? s’indigna l’émotionnel. Ils sont de ma partie.

Mais ils ont de cette technique ! s’extasia le technique.

Et de cette émotion ! rebondit l’émotionnel.

Oui, donc en gros, vous ne saurez jamais vraiment vous départager, sourit l’enfant. Peut-être avez-vous besoin l’un de l’autre, finalement et tout simplement. Les artistes sont des humains et exercent pour des humains.

Le silence se fit et on entendit une mouche voler.